top of page

Entre Ciel et terre

Jean Saunier Â«  Entre Ciel et terre Â»,

Entretien avec Bruno-Pascal Lajoinie, propriétaire de la galerie d’art « Le Domaine Perdu Â» (Meyrals-France)

 

 

 

Bruno-Pascal Lajoinie : En situant ton travail à la frontière du figuratif et de l’informel, tu laisses au « regardeur Â» une grande latitude d’interprétation. En as-tu conscience ?

 

Jean Saunier :

Oui j’aime à penser qu’un tableau est une fenêtre, un espace qui se doit être d’une totale liberté autant pour le peintre que pour la personne qui regarde. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de ces espaces libres, dans une société qui nous dicte ses goûts et ses choix, où tout est standardisé. D’ailleurs, le plus souvent, ce cloisonnement imposé est le sujet  indirect de mes toiles. C’est un condensé de tout ce qui me saute aux yeux ; cela peut être une discussion, un paysage ou lorsque je visite une ville.

 

 

 

 

BPL : Fais-tu systématiquement des esquisses et des croquis préparatoires avant de te lancer dans la peinture ?

 

Jean Saunier :

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours tenu un crayon. Enfant, j’étais plutôt quelqu’un de renfermé, je ne parlais pas beaucoup. Le seul moyen pour moi de communiquer correctement, c’était le dessin. Donc oui, je dirai que le dessin est bien la colonne vertébrale de mes toiles. Mais ces croquis ne prennent pas, ou plus forcément, naissance à partir d’un sujet réel. Il m’arrive encore de prendre mon petit carnet de croquis, au milieu d’une route ou d’un sentier, mais cela se raréfie depuis deux ou 3ans. La raison ? Tout simplement une volonté de ne pas, ou plus, être prisonnier du sujet. J’aspire à une liberté totale. Car après tout, comment pourrai-je proposer des espaces de liberté au « regardeur Â» si  moi-même je ne m’octroie pas cette liberté.

 

 

 

BPL : Comment et où naît l’inspiration ?

 

Jean Saunier :

Tout d’abord et avant toute chose je suis un fils de Dordogne, d’Aquitaine ! Il n’y a pas un endroit de cette terre qui ne m’inspire pas. Ses paysages, ses habitants, sa nourriture, son vin …tout.

Mais mon inspiration peut venir  aussi de l’actualité, d’un film, d’un documentaire. La seule chose importante, c’est l’émotion  qui en découle, et de savoir si je peux la traiter et la retransmettre le plus fidèlement possible. Pour prendre un exemple, après les attentats du 11 septembre et ces images qui ont fait le tour du monde, mon esprit était en ébullition complète. Ce flot d’émotions intenses s’est mélangé en moi pendant un an puis j’ai peint « Eleven Â». Le plus drôle c’est que cette toile est née un peu à la manière d’une écriture automatique. Ca fait bizarre de se retrouver devant cette toile finie et de se dire « alors c’était ça ! Â»

 

 

 

BPL : Qu’elles soient inspirées de la réalité ou qu’elles sortent tout droit de ton esprit, tes peintures sont liées le plus souvent à l’idée du paysage. Pourquoi ce thème quasi-exclusif ?

 

Jean Saunier :

Pour moi, à travers ce thème, j’explore tous les autres thèmes. Car l’idée de paysage est partout, sur les courbes d’une femme, un visage, des émotions, l’infiniment grand, l’infiniment petit ; cette idée de paysage est partout.

L’une des choses que je capte en premier dans un paysage c’est sa lumière ; c’est elle qui va pour ainsi dire imprimer l’émotion du sujet dans ma tête et me permettre par la suite d’établir une relation entre lui et moi. D’ailleurs parfois la lumière est le sujet principal de mes Å“uvres

J’ai donné pendant quelques années des cours de peinture. Dans les premiers temps ce qui me frappait souvent chez les élèves c’est qu’ils ne regardaient pas. J’entends par là, que pour moi, ils étaient totalement aveugles. Ils ne voyaient le sujet qu’en surface, traitant par exemple un bouquet de fleurs de manière photographique, académique, mais sans vraiment VOIR  ce que pouvait proposer ce bouquet. Pour moi l’aspect  technique ne doit pas se mettre en avant, mais bien s’effacer devant l’émotion que le sujet nous évoque. Garder l’œil ouvert, c’est aussi garder les portes de l’imagination grandes ouvertes et ainsi laisser entrevoir sa personnalité au travers de l’œuvre. En fin de compte, peu importe le sujet. Ce qui est important, c’est le traitement ainsi que le message que l’on veut faire passer. Pour moi la peinture c’est avant tout un dialogue entre le sujet et le peintre.

 

 

 

 

BPL : Les sujets maritimes, mers et rivages, occupent une place privilégiée dans ta production. Et ce depuis longtemps.

 

Jean Saunier :

Oui. Comme je le disais plus haut, je suis un fils d’Aquitaine. Etant enfant, ma mère bougeait pas mal dans la région, faisant des travaux saisonniers. Ceci a été pour moi une vraie chance. J’ai pu ainsi aller à l’école à Itxassou dans le Pays Basque et vivre une profonde osmose avec ce pays et ses habitants. Je vais m’y ressourcer aussi souvent que je peux. Du Médoc au Pays Basque, la côte atlantique est très importante pour moi. D’ailleurs, j’y pratique le surf régulièrement. Cette relation directe avec la nature, ce sentiment de ne faire qu’un avec l’élément marin, ces plages immenses à perte de vue, c’est le genre de choses qui remplissent mes piles imaginaires ; j’ai besoin de ce contact avec le « bord Â» du monde. Là on est dans l’épure, la ligne claire. L’esprit se met en paix.

 

 

 

BPL : Ta palette affectionne les couleurs naturelles. On y retrouve notamment toutes les teintes de la terre, des jaunes aux bruns, en passant par les bistres et les marrons. Les bleus, ceux du ciel et de l’eau, sont aussi omniprésents.    

 

 

Jean Saunier :

Ma palette est finalement assez réduite. Parfois, je démarre une toile en me disant que je vais employer des tonalités qui me sont inhabituelles et à l’arrivée je finis presque toujours par revenir à mes couleurs de prédilection : les bleus, les bistres, les verts, quelques rouges aussi qui donnent de la sonorité aux toiles.

C’est vrai que j’ai une profonde attirance pour les tons naturels. Sans doute parce qu’ils véhiculent un sentiment d’authenticité, de simplicité et de sincérité au milieu duquel nous évoluons. En règle générale, j’ai horreur des choses frelatées et des effets artificiels. Plus j’avance et plus je préfère aux chocs chromatiques violents la musique douce des camaïeux et des fondus enchaînés. Jouer avec l’infinie variété des bistres et des bruns est un plaisir dont je ne me lasse pas.

 

 

BPL : Ces derniers temps, ta peinture a gagné en légèreté et en sobriété. La marque du dessin, devenue moins présente que par le passé, semble avoir laissé la primeur au travail sur la couleur.

 

Comme je le disais plus haut, je ne veux être prisonnier de rien. J’écoute le sujet et je l’interprète à la manière qui le servira le mieux. Parfois avec un travail poussé sur le dessin, sur les textures, la manière de traiter les couleurs, en pâte, en  glacis, la liberté totale.

 

 

 

BPL : En parlant de textures, comment ne pas évoquer les éléments extérieurs tels que la gaze, le sable et le carton qui viennent régulièrement dans tes toiles dialoguer avec la peinture ?

 

Jean Saunier :

Il y a quelques  années, ces éléments sont entrés de manière naturelle dans mon travail et ils y sont restés. Leur présence, qui n’est jamais gratuite, a un rôle similaire à celui des formes reconnaissables dont je parlais plus haut. Ces éléments sont des petites clés, très basiques en définitive, qui viennent discrètement orienter la lecture du spectateur : quoi de mieux que la gaze pour simuler les filets de pêche qui jalonnent la côte atlantique.

Mais c’est aussi une manière pour moi de rappeler la toile brute, de ne pas oublier le lin ou le coton qui tisse la toile ; elle s’inscrit naturellement dans ce dialogue avec le sujet. Je n’oublie pas non plus le papier dont j’aime le toucher. J’utilise du papier aquarelle à fort grain ; j’aime sa chaleur, je peins , je dessine , je découpe, je colle.

 

BPL : Et les craquelures qui émaillent bon nombre de tes toiles ?

 

Jean Saunier :

Bien sûr elles soulignent les effets inaliénables du temps mais avant tout, c’est la marque invisible de l’homme qui apparaît au grand jour. Ce danger qui menace les générations futures. Pourquoi montrerais-je seulement ces fractionnements de pays, ces déchirures sans montrer la fracture de nos cieux? Ces craquelures, c’est la fragilité de ce qui nous entoure.

 

 

BPL : Quels sont, pour finir, parmi les grands acteurs de l’histoire de l’Art ceux qui te touchent le plus ?

 

Jean Saunier :​

Difficile de faire un choix, mais je dirais tout d’abord les impressionnistes. Ce fut là ma première claque picturale… les Nymphéas de Monet, du bonheur à l’état pur. Les jaunes de klimt, la pureté du dessin et des bistres d’Egon Schiele. Puis très vite, Pollock, De Stael - le  poids de sa peinture, sa pâte, la force de ses couleurs, Vieira da Silva pour la qualité de son dessin et de ses lignes (on sent la vie dans ses traits). J’ai également beaucoup d’admiration pour certains grands maîtres de la bande dessinée : Hergé, Moebius, Enki Bilal…

bottom of page